Depuis quelques années, de nombreuses communes ont décidé d’interrompre partiellement l’éclairage public durant la nuit, généralement entre minuit et 5h du matin. Ce choix, souvent présenté sous l’angle de la « sécurité » ou des « économies d’énergie », mérite une analyse rigoureuse. Car derrière ce débat technique se cache une série d’enjeux fondamentaux liés à la santé publique, à la biodiversité, à l’aménagement du territoire, mais aussi à la transparence des politiques publiques.
Une décision éclairée pour la santé humaine
La lumière artificielle nocturne affecte profondément notre biologie. Notre rythme circadien – ce cycle naturel de 24h qui régule notre sommeil, notre température corporelle, notre production hormonale – est perturbé par l’exposition à des sources lumineuses nocturnes. L’American Medical Association (2016) a alerté sur les effets délétères de cette exposition, notamment l’augmentation des troubles du sommeil, du diabète, de l’obésité, des dépressions et de certains cancers hormonodépendants.
Dans les zones fortement urbanisées, les habitants n’ont souvent pas la possibilité de profiter d’une obscurité totale, même chez eux. Réduire l’intensité lumineuse ou couper l’éclairage public quelques heures durant la nuit représente une réponse simple, non intrusive, à un problème de santé publique largement sous-estimé.
Préserver la biodiversité nocturne
La pollution lumineuse a un effet dramatique sur la faune et la flore. Les insectes volants, attirés par la lumière, meurent en grand nombre chaque nuit sur les lampadaires. Les chauves-souris modifient leurs itinéraires de chasse. Les oiseaux migrateurs perdent leur orientation. Même les végétaux sont affectés dans leurs rythmes biologiques. Le CNRS et la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) ont largement documenté ces phénomènes, tout comme l’Association Française de l’Éclairage.
Réduire l’éclairage la nuit, c’est donc aussi une action concrète pour la biodiversité, complémentaire des politiques climatiques et de protection des écosystèmes.
Sécurité : un faux débat ?
De nombreuses études, dont un rapport du CEREMA en 2018, démontrent que l’extinction partielle de l’éclairage n’augmente pas la criminalité. En réalité, la majorité des délits nocturnes ne sont pas influencés par la luminosité de l’espace public. La plupart des cambriolages ont lieu… en journée ! Le sentiment d’insécurité est souvent agité dans le débat, mais rarement étayé par des faits chiffrés. Par ailleurs, de nombreuses communes observent même une baisse de nuisances nocturnes (rassemblements, dégradations) quand la nuit redevient plus sombre.
Des économies, mais pour qui ?
Les communes ont financé, avec l’aide des intercommunales, la conversion à l’éclairage LED, plus performant, moins énergivore et plus durable. Ces investissements, coûteux, étaient censés engendrer d’importantes économies d’énergie – parfois jusqu’à 70 %. Pourtant, de nombreuses communes constatent que leur facture d’éclairage public ne diminue pas en proportion. Pourquoi ?
Parce que la facturation de l’éclairage est souvent opaque : les intercommunales comme ORES facturent non seulement la consommation réelle (parfois estimée), mais aussi des coûts fixes, des frais d’entretien, des services additionnels (télégestion, télémaintenance), et même des amortissements d’infrastructures désuètes. Cette situation soulève des questions démocratiques fondamentales : qui contrôle ces tarifications ? Où va réellement l’argent des économies promises ?
Références utiles
- American Medical Association (2016) – Human and Environmental Effects of Light at Night
- CEREMA (2018) – Extinction de l’éclairage public : impact sur la sécurité routière et la sécurité publique
- CNRS – Éclairer la nuit : un impact sous-estimé sur la biodiversité (2022)
- Ligue pour la Protection des Oiseaux – Pollution lumineuse et biodiversité
- Association Française de l’Éclairage – La tarification opaque de l’éclairage public (2022)
- Interpellations parlementaires – Questions sur la transparence tarifaire d’ORES (2021-2023)
Conclusion : restaurer une nuit juste
Le débat sur l’éclairage public ne se résume pas à un simple arbitrage entre peur et économie. Il touche à notre rapport au vivant, à la sobriété, à la gouvernance locale. Il nous pousse à repenser nos besoins, à exiger plus de transparence dans les services publics, et à valoriser les bénéfices d’une nuit noire : pour la santé, pour la nature, pour nos finances. Rétablir la nuit, c’est rétablir du bon sens.
Jean-François Mitsch
Blog MiTSCH.be
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